<span>UNPI</span> Paris MétropoleUNPI Paris Métropole

UNPI Paris Métropole
Chambre Syndicale de la Propriété Immobilière
Paris Métropole

Fiche actualité fédération

Éoliennes : vent de contestation

ENQUÊTE — Qui sème les éoliennes récolte la tempête. On a beau savoir qu’une éolienne, c’est d’abord de l’énergie renouvelable, que c’est bon pour la planète, personne n’en veut à proximité immédiate. Les populations locales apparaissent vent debout contre les projets d’éoliennes qui fleurissent à travers tout le territoire. Les recours se multiplient, mais les opposants n’ont pas toujours gain de cause.

Le clocher n’est plus le point culminant du village, les éoliennes se sont incrustées dans le paysage. Fin 2022, la France comptait près de 9 500 éoliennes, regroupées en 2 262 parcs. La production électrique a triplé en dix ans, les équipements se sont multipliés, ils ont gagné en performance, mais notre pays reste à la traîne. Malgré son potentiel énorme, la France accuse un sérieux retard sur ses objectifs et sur ses voisins. Avec une capacité de production de 21 GW (gigawatts) en 2022, c’est bien moins que l’Espagne (29 GW), le Royaume-Uni (28 GW) ou l’Allemagne (66 GW), la championne d’Europe.

 

Toujours plus haut, toujours plus puissant

Pour atteindre ses objectifs, la France met les bouchées doubles. De nouveaux mâts poussent tous les jours, plus de 600 rien que pour l’année 2022, avec une répartition géographique pour le moins déséquilibrée : trois régions concentrent à elles-seules 60 % du parc français (Hauts-de-France, Grand- Est et Occitanie). On parle ici des éoliennes industrielles, celles que l’on aperçoit dans les champs ou sur un relief et qui culminent parfois à plus de 200 mètres. Car plus les années passent, plus les constructions gagnent en puissance, en hauteur et en envergure. « On a démarré au début des années 2000, avec des machines de 70 mètres. Aujourd’hui, on installe des mâts de 240 mètres de haut au Mont des Quatre-Faux dans les Ardennes », se lamente Daniel Steinbach, président de la fédération nationale Vent de colère !

Toujours plus hautes, encore plus puissantes. « Il y a 20 ans, une éolienne produisait 750 kilowatt-crête (kWc, capacité de production dans des conditions standards, ndlr), aujourd’hui une éolienne produit 4 000 kWc et nous avons désormais des projets à 6 000 kWc ! » Dopé par plusieurs lois successives, l’éolien a le vent en poupe. Objectif ? Couvrir 10 % à 15 % de la consommation électrique en 2035.

 

Une installation simplifiée

Bien sûr, on n’installe pas des éoliennes n’importe où et n’importe comment. Des règles plusieurs fois revues et corrigées ont été édictées. La construction d’un parc d’éoliennes de plus de 50 mètres, classé comme ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement), est soumise à une réglementation stricte au titre du Code de l’énergie, du Code de l’environnement, du Code forestier et du Code de l’urbanisme. Pour faciliter la réalisation des projets, la loi a cependant été revue en 2017 avec l’autorisation environnementale pour les parcs les plus importants dont les mâts dépassent les 50 mètres de hauteur. Plus simple, cette autorisation unique regroupe l’autorisation d’exploiter au titre de la réglementation des ICPE et l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité. Elle dispense également du permis de construire. Visiblement, cette simplification n’a pas permis d’accélérer suffisamment l’éolien : en 2020, la France ne remplissait toujours pas son objectif d’énergie renouvelable (23 % d’énergies renouvelables de la consommation finale brute d’énergie en 2020, 32 % attendus en 2030).

Nouvelle loi, nouvelle simplification en 2023. La loi APER (Accélération de la Production des Énergies Renouvelables) donne naissance à des zones d’accélération des énergies renouvelables. Au sein de ces zones, les communes se déclarent favorables (du moins, non défavorables) à l’implantation d’un projet d’énergie renouvelable. Qu’il s’agisse de photovoltaïque, d’éolien, d’unité de méthanisation… « Clairement, la loi instaure un régime dérogatoire qui permet de passer outre le PLU (1) », analyse Benjamin Ingelaere, avocat en droit public à Paris, Lyon et Lille. Pas de modification de PLU, ce sont des possibilités de recours en moins, c’est aussi du temps de gagné. « Aujourd’hui, tout est fait pour réduire les voies de recours et simplifier la procédure d’installation d’éoliennes. » Dans les faits, au sein de ces zones, la concertation risque parfois de se limiter à la simple information du public. L’ambition est bel et bien de doper les énergies renouvelables, coûte que coûte, avec un objectif de doubler la productionéolienne terrestre dans un futur proche.

 

Farouche opposition

Encore plus d’éoliennes donc. Pour la fédération Vent de colère ! qui regroupe nombre d’associations locales, ces équipements vont à l’encontre des populations. D’ailleurs, lorsqu’ils sont consultés par la voie d’un référendum local, les habitants ne se privent pas d’exprimer leur farouche opposition. En 2023, les 22 villages consultés ont tous très largement refusé les éoliennes, avec un score sans appel : 84 % de « non » en moyenne parmi les suffrages exprimés.

Question de bon sens. « Les personnes qui habitent la campagne n’ont pas envie d’avoir une machine industrielle à 800 mètres ou 1 kilomètre », relève Daniel Steinbach. Un sondage national réalisé par OpinionWay pour le compte de l’association Sites et Monuments, en 2022, confirme cette image négative : 77 % des Français estiment que les éoliennes ont un impact négatif sur la valeur du bien, 73 % jugent que ces éoliennes engendrent une pollution sonore, 72 % qu’elles nuisent à la biodiversité ou à la beauté des paysages… Attractivité touristique, qualité de vie et même santé, le rejet est massif. Rien d’étonnant dès lors que les projets d’implantation nourrissent souvent une mobilisation locale. « Sept projets de parcs éoliens sur dix font aujourd’hui l’objet d’une procédure devant la justice administrative », observe Benjamin Ingelaere. « L’implantation d’un parc éolien est le résultat d’un conflit entre l’intérêt général et l’intérêt personnel des riverains. Ces éoliennes répondent à des besoins résultant de la politique française, mais en contrepartie certains riverains sont impactés par les nuisances qu’elles génèrent : sonores, visuelles, écologiques… »

 

Quels recours pour les riverains ?

Avant d’arriver à un procès aussi coûteux que fastidieux, les riverains disposent cependant d’autres possibilités. « Les pétitions, les manifestations ne servent à rien, estime Benjamin Ingelaere, pour contester efficacement, il n’y a que la voie juridique. » L’installation d’une éolienne passe par plusieurs étapes clés au cours desquelles les riverains peuvent s’exprimer. La première étape est déjà de « participer à l’enquête publique en indiquant des griefs contre l’installation ». Si le commissaire enquêteur remet un avis favorable à l’implantation, il reste alors la possibilité d’un recours gracieux auprès du préfet, par lettre recommandée en mentionnant les différents griefs. « Le préfet dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception du courrier pour statuer. En cas de refus, il reste alors le recours contentieux. » Les riverains ont la possibilité de saisir la justice pour faire annuler la construction d’un parc éolien. « Le délai pour contester un permis de construire est de deux mois à compter de la date d’affichage du permis ou de quatre mois s’il s’agit d’une autorisation environnementale », met en garde Benjamin Ingelaere. Sauf bien entendu en cas de défaut d’affichage qui peut alors donner lieu à un recours contentieux pendant l’intégralité de la durée des travaux.

Pour le président de Vent de colère !, 400 à 500 contentieux restent aujourd’hui ouverts devant la juridiction administrative. Mais leur nombre risque de gonfler dans l’avenir. Benjamin Ingelaere a remarqué davantage de sollicitations au sein de son cabinet. « Nous sommes de plus en plus souvent saisis aujourd’hui. Auparavant, nous traitions une demi-douzaine d’affaires de ce type par an, aujourd’hui, nous avons un contentieux tous les mois et des sollicitations chaque semaine. » Pour raccourcir les procédures qui engorgent les tribunaux et ne pas freiner le développement des éoliennes, la règle a changé : désormais, les litiges sont directement traités par les cours administratives d’appel sans passer par le tribunal administratif. « L’administré perd un degré de juridiction, l’administration gagne du temps », observe l’avocat.

 

Un dossier à bétonner

La pollution visuelle reste souvent la première motivation des opposants. Aucune éolienne de plus de 50 mètres ne peut être implantée à moins de 500 mètres d’une habitation, c’est la loi. Cette gêne visuelle reste pourtant insuffisante pour monter un dossier.

Pour le Conseil d’Etat (16 mai 2018), la simple vue d’un parc éolien depuis sa maison ne suffit pas. « Pour contester l’implantation d’éoliennes, il faut un intérêt à agir, le parc éolien doit déranger de manière directe, la simple gêne n’est pas suffisante », prévient Benjamin Ingelaere. Les riverains doivent donc démontrer d’autres préjudices autrement plus sérieux : des nuisances sonores, un bilan écologique défavorable, une trop grande proximité avec les habitations, la dépréciation de la valeur des biens immobiliers, l’artificialisation de sols agricoles…

Dans cette discipline, tous les arguments sont bons à prendre. Plus de vingt ans qu’il combat des projets d’implantation, Daniel Steinbach est passé maître en la matière. À chaque projet, ses arguments. Le président de Vent de colère ! évoque d’abord une pollution sonore non négligeable qui peut varier en fonction de la météo, des sols ou de la configuration des terrains. La préservation de la biodiversité est aussi un argument qui revient souvent et qui peut bénéficier du soutien de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) lorsque les éoliennes sont susceptibles de nuire à l’existence d’espèces protégées. « C’est une bataille d’arguments techniques, environnementaux, réglementaires, c’est un marathon qui peut durer huit à dix ans parfois, pour lequel il est nécessaire de se constituer en association et de trouver des spécialistes en faune, en flore, en acoustique, etc. »

 

Pot de terre contre pot de fer

« Le gros de notre action, c’est d’agir dès que nous avons connaissance d’un projet, afin de mobiliser la population locale pour empêcher le projet d’avancer et le préfet de signer », témoigne Daniel Steinbach. Plus tôt les opposants se font entendre, mieux c’est. Idéalement, Vent de colère ! tente d’empêcher les promoteurs de mettre la main sur un terrain et de signer un bail emphytéotique. Pas de terrain, pas d’éolienne. Plus facile à dire qu’à faire. Dans certaines régions, comme les Hauts-de-France, ce contrôle des terrains reste compliqué. Mais dans d’autres, comme la région Auvergne-Rhône-Alpes où les opposants aux éoliennes bénéficient d’un soutien politique appuyé, il est rendu plus facile. « Nous sommes ainsi déjà parvenus à empêcher des projets d’éoliennes parce qu’aucun propriétaire n’avait accepté de signer un bail avec un promoteur. »

Mais ce genre de victoire où le projet est tué dans l’oeuf, reste assez rare. D’ailleurs, même quand l’affaire atterrit devant la cour administrative d’appel, voire le Conseil d’Etat, la victoire est loin d’être acquise. Tout dépend de la solidité du dossier, tout dépend aussi de la région, selon le président de Vent de colère ! « Il est plus facile de s’opposer à un projet d’éoliennes devant la Cour administrative d’appel de Marseille, que celle de Douai. Dans les grandes régions de plaines à blé, il est plus difficile de trouver des arguments et de convaincre les juges. » Daniel Steinbach estime que les associations de riverains obtiennent gain de cause dans seulement 30 % des cas. Les opposants sont souvent confrontés à des promoteurs solidement armés par des années de procédure dont ils ont su tirer des enseignements. Benjamin Ingelaere évoque des dossiers souvent fastidieux. « Les dossiers de contestation de projets d’éoliennes sont des dossiers extrêmement compliqués et hyper chronophages. La contestation de la construction d’une éolienne n’a rien à voir avec la contestation d’un permis de construire d’une maison. Ce sont des centaines de documents à éplucher. » Le découragement est facile, face aux coûts des procédures, à leur complexité, les riverains jettent parfois l’éponge.

Pourtant, il existe de beaux succès. Daniel Steinbach savoure justement une victoire récente. En mai, dans le Morbihan, quatre éoliennes en place depuis des années ont été démantelées, après que leur installation ait été jugée illégale. Les propriétaires ont obtenu gain de cause cette fois, mais il leur aura fallu plus de dix ans pour être entendus.

 

 

VOISINAGE

Et si mon voisin installe une éolienne domestique ?

Tout dépend de la taille de l’éolienne. Si l’équipement mesure plus de 12 mètres (mais moins de 50 mètres), un permis de construire est exigé. En revanche, si l’éolienne mesure moins de 12 mètres de hauteur, la réglementation ne prévoit aucune autorisation préalable ni même de permis de construire. Ce qui ne veut pas dire que la construction échappe aux règles d’urbanisme. Elle peut très bien être interdite dans des zones définies par le PLU, ce qui arrive souvent dans les zones à proximité d’un site classé ou d’un monument historique. Cette éolienne doit aussi respecter une distance minimum « par rapport à la limite séparative du voisinage égale à la moitié de la hauteur de l’éolienne, avec un minimum de 3 mètres », explique Benjamin Ingelaere, avocat.

Est-ce qu’un propriétaire peut s’opposer à la construction d’une éolienne domestique ou agricole sur la parcelle voisine ? « Dans ce cas précis, la réglementation commune des troubles anormaux des voisinages s’applique. Nul ne peut causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage. Des conditions doivent être remplies : anormalité du trouble, préjudice, lien de causalité… Si le trouble est caractérisé, le juge peut ordonner immédiatement la cessation du trouble et indemniser la victime pour le préjudice qu’elle a subi antérieurement. »

 

 

VALEUR IMMOBILIÈRE

Les éoliennes entraînent-elles une dépréciation immobilière ?

Le sujet est plus compliqué qu’il n’y paraît. Daniel Steinbach de la fédération Vent de colère ! déplore l’absence d’études sérieuses en France. « En Allemagne ou au Royaume-Uni, nous disposons cependant de véritables études statistiques qui portent sur des millions de transactions. »

Le président de Vent de Colère ! en tire quelques enseignements. « En fait, cela dépend des bâtiments et de leur environnement. Pour une belle maison avec un cachet ancien dans un environnement rural, la dénaturation est énorme. La dépréciation peut se révéler très forte. En revanche, pour un lotissement moderne proche d’une zone commerciale par exemple, la baisse des prix sera bien plus faible. »

En mars 2024, la justice a rendu un arrêt inédit en la matière. La cour d’appel de Rennes a condamné une entreprise concessionnaire d’éoliennes à verser plus de 730 000 euros à 13 propriétaires de Melgven dans le Finistère. Les plaignants ont obtenu la reconnaissance de leur préjudice de « dépréciation immobilière » : certains biens avaient perdu 20 à 40 % de leur valeur.